Fondation Anne et Robert Bloch ( FARB ), Delémont
15.12.2000 - 18.02 2001 Un ruban de clôture électrique, tendu, parcourt la galerie de bout en bout.par définition, il délimite l'espace. Son tracé est jalonné d'objets divers, façonnés, trouvés.
Le fil rouge devient un support physique et visuel, tantôt porteur tantôt porté. Un dialogue s'installe entre les objets satellites qui fonctionnent comme vecteurs d'informations. |
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Pour Philippe Queloz
Le ciel est tendre, la terre pâle. Le monde est une aquarelle ayant pour titre: Avril. En regardant l'installation de Philippe Queloz, prenons comme point de départ de la discussion l'aquarelle et posons-nous la question suivante: s'agit il de ce que l'on voit, de ce que l'on croit voir ou peut être, de ce que l'artiste nous donne à voir ? Et depuis Matisse, nous savons que les espaces intermédiaires sont également significatifs, dans le cas de l'aquarelle, le blanc du papier choisi. Le travail de Queloz est léger et transparent. En pénétrant dans la galerie et après avoir jeté un premier coup d'œil à travers la pièce, je me suis souvenu de l'aquarelle comme sujet. En tant que spectateurs, nous nous trouvons entre les choses, au milieu des éléments qui divisent le lieu, l'espace et lui confèrent une tension. Et ici aussi, c'est précisément le fil rouge qui tient tout ensemble. Simultanément, je me rappelle un titre d'une aquarelle d'Egon Schiele "Mein Wandelweg führt über Abgründe" "Ma déambulation me conduit par dessus des abîmes". Il faut trouver une réponse aux diverses questions que l'artiste pose à travers cette réflexion : comment passons nous de la surface à l'espace ? à l'espace virtuel de l'artiste, à l'espace pictural de son œuvre ? Sur la feuille de papier de l'aquarelle, cet espace est organisé grâce au pinceau et au crayon, aux traits et aux surfaces. L’ensemble doit être mis à plat, c’est-à -dire s’inscrire dans la surface du support de couleurs, pour être interprété comme oeuvre moderne et contemporaine; nous le savons bien et cela pas seulement depuis le pop’art. Queloz remplit cette exigence dans le cadre des locaux mis à disposition par la et fondation FARB, qui l'a invité à créer une œuvre spécifique pour ce lieu. Il n'utilise pas les parois pour y accrocher des travaux plats (par exemple des aquarelles ou des peintures), en vue de se manifester dans un contexte connu. Non, bien au contraire, Nous, les visiteurs, en entrant dans la galerie d'exposition, nous nous retrouvons directement au cœur même de l'espace pictural et de la composition de l'artiste. Le titre annoncé de ce travail, In Tension, qu'il faut interpréter à la fois en français et en anglais, nous prépare à un saut entre l’intuition et la tension, autrement dit à une acrobatie ou à un morceau d'art, bref à un numéro d’équilibre d'une nature particulière. Nous nous tenons et nous nous déplaçons entre ces deux plages de mouvement, sans vraiment savoir si nous en faisons partie ou non. Mais, comme nous y avons pénétré, nous sommes une partie intégrante du tout et c'est ce dernier qu'il s'agit de saisir. Suivons le fil rouge, également celui qui est tendu à travers ce lieu ! Les matériaux utilisés sont à la fois simples et communs. Leur usage et leurs fonctions nous sont assurément familiers. Mais dans le cadre de l'installation de Queloz, ils se voient attribuer des tâches nouvelles et de nature différente. Nous nous laissons surprendre par les facultés d'équilibriste, lors du saut d'un point à un autre. Ce faisant, les expériences ressenties soulignent la fragilité de la composition de l'artiste, aussi bien inventée que trouvée. Ce sont précisément ces qualités qui m'ont fait penser à l'aquarelle, qui annonce, comme le dessin, l'idée et l'amorce de l'œuvre majeure, sans en révéler toutefois encore la finalité. Dans le cas présent, la recherche et la quête se poursuivent encore au delà du vernissage et de la durée de l'exposition. Les traces de structures suggérées maintiennent ouvert le processus de création artistique, l'impétuosité créatrice demeure en mouvement et au travail. Des perspectives de cet ordre ont été soulignées par la performance sonore de Jacques Bouduban, lors du vernissage, en démontrant, à un autre niveau artistique toutefois, les moyens et les énergies avec lesquels on expérimente et on travaille au grand œuvre de l'art. Des affinités ont été ainsi mises en lumière; elles confortent les intentions de deux positions différentes. L'invitation et la mise en scène à venir se dérouleront dans un autre lieu et contexte et emmèneront l'artiste vers d'autres rivages et nous, les invités et spectateurs, vers une nouvelle surprise. Les mystères de ce procédé ne résident probablement pas dans ce qui nous est donné à voir présentement, mais bien plus dans les stations à venir du parcours artistique de Queloz. Pour l'instant, ce processus attend sa prochaine apparition sur la scène de l'art. Les expériences vécues dans l'espace actuel seront mises en mémoire pour les tâches futures ; elles sont assez élaborées pour soutenir ce qui est encore à venir, lui donner forme. Nous sommes curieux, nous avons le temps et la patience. Après le vernissage, dehors dans la nuit me dirigeant vers le restaurant prévu pour le repas partagé avec l'artiste et ses amis, je découvre la lune pleine et basse qui me montre le chemin à travers l'obscurité. Près de l'entrée, à l'arrière de la galerie, je distingue à travers la vitre la dernière station (ou est-ce le tournant ?) de l'installation de Queloz, à savoir le disque ondulé blanc. Il ouvre une perspective nouvelle sur l'espace continu de la galerie et engendre encore d'autres découvertes et conclusions. Peut être un moyen d'attirer les passants nocturnes et de susciter chez eux le désir de visiter la galerie dans les jours suivants. La perspective qui en résulte révèle que non seulement l'espace de la galerie fait partie intégrante de la chose montrée, mais aussi son environnement immédiat et plus lointain. Le chemin qui conduit au lieu de l'art est riche en aventures ! À minuit, je réponds à l'invitation de l'artiste et de sa famille à prendre un dernier verre dans leur maison, située sur les premières hauteurs du Jura, à Saint Brais. Là aussi, les chemins conduisant à la rencontre autour d'une table sont nombreux, comme auparavant à Delémont. Dans cette maison multiforme, il faut monter de nombreux escaliers, traverser des passerelles plus ou moins longues, aussi bien ? l'extérieur qu'à l'intérieur, avant de se retrouver enfin assis à la table, avec le verre promis devant soi. En empruntant ces différents chemins qui révèlent aussi la manière de chercher et de trouver propre à Queloz, je me suis rapproché de la pensée de Queloz, en me révélant sa manière de chercher et de trouver. Ce n'est pas la ligne droite ou directe entre deux points qui est d'un intérêt majeur ici, mais probablement plutôt l'aménagement, l'exploitation des différentes intersections, qui développent entre elles le réseau d'une unité plus globale, et c'est là que l'on trouve l'ornement. La lumière se fait peu à peu et nous commençons à comprendre… Johannes Gachnang (Texte rédigé suite à la présentation de l'artiste par Johannes Gachnang lors du vernissage de l’installation intitulée " In Tension " dans la galerie de la FARB, le 15 décembre 2000. Traduit de l'allemand par Sonja Queloz.) |